Interview – Éric GRANDJEAN
Notaire associé chez ÉTUDE LECLERC
Le marché de l’immobilier neuf à Toulouse reste solide. Entre attractivité économique et croissance démographique, la Ville Rose séduit toujours.
Dans cette interview, Éric Grandjean, notaire associé à l’Étude BL Notaires, partage son expertise. Il décrypte les enjeux de la promotion immobilière, les spécificités du contrat de VEFA et les stratégies pour réussir un investissement locatif. Un éclairage précieux pour mieux comprendre les opportunités du neuf à Toulouse.

➡️ Le démembrement de propriété : usufruit / nue propriété, comment ça marche ?
Le concept du démembrement de propriété est issu du droit romain qui a très tôt dissocié l’usufruit et la nue propriété. L’usufruit confère à son titulaire le droit d’usage « usus » (habiter une maison) ainsi que le droit de perception des fruits « fructus » (recevoir les loyers de la location d’une maison). La nue-propriété va être tout le reste, soit par à contrario avoir les attributs du propriétaire en étant amputé du droit d’usage et de perception des fruits. Les deux droits réunis, l’usufruit et la nue-propriété, forment la pleine propriété. Au décès de l’usufruitier, l’usufruit s’éteint automatiquement et va rejoindre la nue-propriété et reformer la pleine propriété.
Quelle est L’ORIGINE DU DÉMEMBREMENT ?
Le démembrement de propriété peut avoir deux origines :
- Suite à un décès : le conjoint survivant bénéficiant de la possibilité d’opter pour l’usufruit, les enfants auront par déduction des droits en nue-propriété.
- Suite à une donation : le démembrement de propriété est une technique régulièrement utilisée pour faire des donations, les donateurs se réservant l’usufruit et donnant aux enfants la nue propriété.
COMMENT EST VALORISÉ L’USUFRUIT ?
L’usufruit et la nue-propriété ont une valorisation qui est évolutive. La valeur de la nue-propriété va logiquement découler de celle de l’usufruit : plus le titulaire de l’usufruit est jeune, plus son usufruit a de valeur puisqu’il va jouir de cet usufruit pendant longtemps.
Un barème est donné par l’administration fiscale, la valorisation évolue de 10 % par tranches de 10 ans selon l’âge de l’usufruitier, soit pour un bien qui vaut 100 en pleine propriété (PP) :
- Si l’usufruitier a + de 31 ans et moins de 41 ans : USUFRUIT 70 / NUE PROPRIÉTÉ 30
- Si l’usufruitier a + de 41 ans et moins de 51 ans : USUFRUIT 60 / NUE PROPRIÉTÉ 40
- Si l’usufruitier a + de 51 ans et moins de 61 ans : USUFRUIT 50 / NUE PROPRIÉTÉ 50
- Si l’usufruitier a + de 61 ans et moins de 71 ans : USUFRUIT 40 / NUE PROPRIÉTÉ 60
- Si l’usufruitier a + de 71 ans et moins de 81 ans : USUFRUIT 30 / NUE PROPRIÉTÉ 70
- Si l’usufruitier a + de 81 ans et moins de 91 ans : USUFRUIT 20 / NUE PROPRIÉTÉ 80
- Si l’usufruitier a + de 91 ans : USUFRUIT 10 / NUE PROPRIÉTÉ 90
LA DONATION AVEC RÉSERVE D’USUFRUIT
Le démembrement de propriété est une technique fréquemment utilisée dans le notariat. Les parents se réservent l’usufruit d’un bien immobilier et en donnent la nue-propriété aux enfants. L’intérêt est qu’ils vont donner pour une valeur moindre sans se déposséder totalement. Les enfants quant à eux vont recevoir un bien dont ils n’auront l’usage qu’au décès des dona- teurs mais pour une valorisation fiscale minorée.
Exemple : Mr et Mme X ont acquis un bien de rapport (immeuble locatif) pendant leur mariage qu’ils détiennent 50/50. Ils ont deux enfants A et B. Cet immeuble vaut à ce jour 800 000 €. Mr et Mme X ont 55 ans tous les deux.
L’usufruit de Mr et Mme X vaut pour chacun : 400 000 x 50 % : 200 000 €.
La nue-propriété vaut donc par déduction 400 000 € (PP) – 200 000 € (USF) : soit 200 000 € Mr X va donc donner 100.000 € (1/4 NP) à A et 100 000 € (1/4 NP) à B.
Mme X va faire de même à ses deux enfants.
En partant du postulat que Mr et Mme X n’ont pas fait de donation avant ce jour, ils détiennent un abattement de 100 000 € au profit de leurs enfants tous les 15 ans, ils n’ont aucun droit à verser à l’administration fiscale.

L’avantage est qu’en procédant ainsi A et B seront intégralement propriétaire de l’immeuble à concurrence de moitié chacun au décès du dernier de leur parent sans avoir à verser le moindre euro au Trésor Public. Pendant cette période, les parents auront pu garder le bénéfice des loyers, ce qui peut constituer un complément de revenus non négligeable lors d’un passage à la retraite. Il est évident que ce type de donation ne va rien changer à la vie des enfants jusqu’au décès de leurs parents.
Cette donation n’a qu’un intérêt « fiscal » et il faut faire attention car c’est « un fusil à un coup » pour 15 ans : si par la suite il faut aider un enfant à s’installer dans la vie (achat d’un logement… ) l’abattement de 100 000 € aura déjà été consommé.
Le notaire est un juriste investi d’une mission d’autorité publique qui prépare des contrats sous la forme authentique pour le compte de ses clients. Il exerce ses fonctions dans un cadre libéral. Dans le cadre d’une acquisition en VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement), vous rencontrerez le notaire nommé de l’opération pour l’Acte Authentique. Ce dernier authentifie la vente par la vérification de toutes les conformités et les capacités de chacun, vendeur et acquéreur. La réalisation de l’achat devient ferme et définitive après signature de cet acte.
Le contrat de réservation, équivalent à un sous seing privé dans la transaction de biens anciens, est quant à lui réalisé en amont avec le conseiller mandaté par le constructeur ou le promoteur immobilier.

QUELS SONT LES DROITS ENTRE USUFRUITIERS ET NUS PROPRIÉTAIRES ?
Les rapports entre usufruitier et nu propriétaire peuvent être comparés à ceux du locataire et du propriétaire. Pour simplifier, l’usufruitier va avoir la charge du second œuvre et le nu propriétaire la responsabilité du clos et du couvert (Articles 605 et 606 du code civil). Si cette répartition s’impose pour un démembrement d’origine successorale, elle peut être aménagée conventionnellement dans le cadre d’une donation : en effet, il est difficile de demander au nu propriétaire (enfant) qui ne perçoit pas les revenus du bien de s’acquitter de la réfection d’une toiture : la donation pourrait vite devenir empoisonnée.
QUE SE PASSE-T-IL AU DÉCÈS DU PREMIER USUFRUITIER ?
Le principe est que l’usufruit éteint rejoint la nue propriété : cela peut avoir un impact sur le droit au maintien du conjoint survivant dans les lieux ou sur sa perception des loyers.
Pour éviter toute problématique, la donation peut prévoir que l’usufruit subsistera intégralement à son profit. Cette clause s’appelle la RÉVERSION D’USUFRUIT au profit du survivant. Elle lui permet de garder intégralement les attributs de l’usufruitier malgré le décès du conjoint. Le survivant gardera ainsi les loyers ou le droit d’usage jusqu’à son décès, ce qui peut avoir une importance (surtout dans l’hypothèse où les retraites des époux seraient déséquilibrées). Le survivant pourra néanmoins renoncer à cette réversion si elle n’est pas opportune pour lui. Mais dans ce cas, il en aura décidé et ne subira pas la situation.
EN CAS DE VENTE ?
Le bien objet du démembrement ne peut-être cédé sans l’accord de l’usufruitier et du nu propriétaire. C’est la grande différence avec les règles de l’indivision, il faut un accord de tous les vendeurs. En pratique, c’est souvent l’usufruitier qui a la maîtrise de la situation : il est rare que le nu propriétaire s’oppose à une vente même s’il en a le droit. En effet, il vaut mieux pour lui percevoir une partie du prix de suite (certes moindre) que d’attendre le décès de l’usufruitier pour bénéficier de l’intégralité : si l’usufruitier décède à 90 ans les enfants nus propriétaires en ont généralement 60… ce n’est pas dans cette tranche de vie que vous avez le plus besoin de liquidités.
ET EN MATIÈRE D’IFI ?
La règle était simple sous l’emprise de l’ISF (l’impôt de solidarité sur la fortune) : l’usufruitier déclarait 100 % de la valeur du bien dans son patrimoine. Depuis l’avènement de l’IFI (l’Impôt sur la Fortune Immobilière), le nu propriétaire peut avoir à déclarer la valeur de la nue-propriété au titre de l’IFI si l’usufruit à une origine successorale légale (Article 757 du code civil). Dans les autres cas, c’est l’usufruitier qui va continuer à déclarer 100 % du bien.
Cette situation peut vite être préjudiciable au nu-propriétaire qui ne recevant pas les bénéfices du bien en supporte malgré tout une partie de la fiscalité IFI : dans cette hypothèse il y aura lieu d’anticiper avec votre notaire et de mettre en place une donation entre époux qui permettra de concilier usufruit pour le survivant et taxation de 100 % du bien dans le patrimoine de l’usufruitier. Voilà une présentation synthétique dans un domaine susceptible d’évoluer fiscalement. Une seule certitude, votre notaire est le plus apte à vous accompagner.